Close

Belgique, Pays-Bas, France, 2022, réalisé par Lukas Dhont, vo stf, 105 min.

Grand prix du Festival de Cannes 2022.

Profondeur de la complicité entre deux garçon pré-adolescents et de l'affliction de l'un des deux quand l'autre disparaît. Bouleversement des familles à la tragique rupture du charme ayant prévalu entre les deux comparses.

Lorraine Boucher, pédopsychiatre et psychanalyste, commentera le film et ouvrira la discussion avec la salle.

Film Close/septembre 2023
Par Lorraine Boucher
Je veux d’abord remercier les organisateurs du Ciné-Psy qui nous offrent le privilège de
partager notre amour combiné (notre combo) du cinéma et de notre intérêt pour le
monde intérieur en général, le nôtre spectateur, psy ou pas psy, et le monde intérieur
des personnages qui peuplent les écrans.
Close a gagné le Grand Prix du Jury au Festival de Cannes 2022.
Je ne sais pas encore pour vous, mais pour ma part, j’aurais été incapable de parler à la
fin de mon premier visionnement de ce film qui passait à l’automne 2022 au cours du
Festival Cinémania. J’étais trop remuée. J’ai pu le voir 2 fois depuis, ce qui m’offre un
peu d’espace émotionnel pour prendre la parole avec vous. Mon propos sera court et
j’espère vous donnera le goût d’y aller de vos propres commentaires.
J’admire la construction de ce film qui m’amène impitoyablement vers certains passages
que j’aurais aimés moins tragiques. La pédopsychiatre-psychanalyste que je suis
souffrait à plusieurs reprises dans ce film mélodramatique, complexe, quoique plein de
nuances. La mère en moi, et probablement aussi l’enfant, souffraient. Comme le
réalisateur, Lukas Dhont, 31 ans, le disait en entrevue, il voulait provoquer sans être
trop manichéen. Son film nous rejoint collectivement, 10 minutes d’ovation à Cannes.
Dhont ne s’en cache pas, il est l’un et l’autre de ces deux garçons, Léo et Rémi. C’est le
passage de ses 13 ans, difficile, souffrant, dont il voulait parler. Il voulait mettre
l’emphase sur les liens mères-fils et les relations de tendresse entre garçons. Les pères
sont là, mais en retrait.
Un autre passage difficile qu’il a connu, celui-là à son adolescence, avait été traité 4 ans
plus tôt, par son film Girl (Caméra d’Or au Festival de Cannes 2018). C’est l’histoire
d’une jeune trans, danseuse de ballet qui envisage la chirurgie de conversion. Avec Girl,
Lukas Dhont voulait aborder la relation avec le père. Le père ne s’oppose pas à cette
chirurgie, il accompagne avec sensibilité sa fille malheureuse dans son corps de garçon.
La mère est absente du film. Le film Girl s’ouvre sur une scène : un plus grand frère,
celui qui deviendra plus femme, enlace un plus jeune frère au lit, scène que nous
retrouverons, dans le film Close, lorsque le grand frère serre, la nuit, son frère Léo
chagriné par la perte de Rémi. Là aussi dans le film Girl, l’attirance pour le suicide y a est
abordée.
Les deux films débutent dans la noirceur totale à l’écran. Souhait du réalisateur, que
chaque spectateur imagine un peu son film à lui, sans image, avec des voix d’enfants,
avant que l’auteur ne vienne imposer ses propres représentations visuelles à cette
intimité d’enfance. Par la suite, grâce à la construction de son film Close, Dhont nous
invite magnifiquement à nous approcher de façon inédite du monde intérieur au
tournant de l’adolescence.
2
Au début du film, il y a un travelling de jeunes garçons qui fait référence et contraste
avec la course d’Antoine, dans les 400 coups de François Truffaut (1959), jeune garçon
placé en institution. Antoine révolté, court désireux de retrouver ses parents, ou encore
de s’échapper vers son propre destin, sans adulte, la mer à l’horizon.
Dans Close, titre à double ou triple sens, condensant les sens proche, fermé, enfermé,
les jeunes garçons ne sont pas révoltés. Ils ont des familles bienveillantes, pas parfaites
mais soucieuses des enfants. Malgré l’amour, voilà que le drame reste secret jusqu’à
l’imprévisible pour les cœurs désemparés de l’entourage. Le film donne à voir des restes
inaperçus mais qui ont tous leurs importances. C’est là que la clinicienne revient un peu
à la réalité. Normalement, nous avons, en clinique, des signaux d’alarme plus évidents.
Ce n’était pas le désir du réalisateur de définir les facteurs de risques d’un passage à
l’acte suicidaire. Dans son propre discours, Dhont voulait surtout nous sensibiliser à ne
pas tout gâcher. C’est-à-dire, trop vite sexualiser les rapprochements tendres entre
garçons, ce qui les conflictualise et les inhibent en contraste des filles qui peuvent, elles,
avoir des liens exclusifs, se toucher, se câliner sans que ce soit si compliqué.
Le début du film, est réfléchi en ce sens. Rémi et Léo, à la fin de l’âge de latence, sont
Close- proches, dans le sombre du Bunker de la deuxième guerre mondiale, avec des
combattants qui pourraient les surprendre. C’est un jeu masculin de combat guerrier.
Nous voilà ensuite à courir avec eux dans une toile de Claude Monet parmi les fleurs
magnifiques, en toute légèreté. (Les coquelicots). Gros plan soutenu sur les jeunes,
pour qu’on ne les perde pas de vue. La couleur d’été va dominer la première partie du
film. Les couleurs de l’innocence de l’enfance. La deuxième partie sera couleurs plus
sombres de fin d’automne et d’hiver, saisons plus tristes. Un film conçu d’abord par sa
chorégraphie avec les jeunes acteurs en mouvement, avant que les mots ne viennent s’y
greffer dans le vocabulaire modifié par les jeunes acteurs.
Le film aborde la perte d’une proximité fusionnelle confortable entre deux garçons,
perte de proximité que provoquent, ici, des paroles de filles à l’entrée de l’école
secondaire à l’adolescence. C’est le déclencheur du Close-fermeture. La cour d’école est
le microcosme de la société, dit Lukas Dhont. Les pressions s’y font sentir, là aussi, et
forcent chacun à la conformité, ici trop rapidement. L’appel du groupe à l’adolescence
se fait pressant, souvent excitant mais, aussi, oppressant.
Léo va sortir plus hâtivement de ce lien privilégié avec Rémi qu’il ne l’aurait fait s’il avait
suivi son propre rythme. Le jeu des garçons d’âge de latence va perdre son attrait pour
lui. Léo est entouré de sa famille, il a un grand frère sensible et soucieux de lui, il a un
travail en collectivité dans les champs de fleurs. Il tente le hockey, où il s’y fait un autre
ami que Rémi, il participe à la sortie de l’école. Il sent l’appel du groupe non sans
lourdeur, sans inquiétude pour Rémi. Il sent bien que Rémi n’est pas préparé à cet
éloignement et peut-être lui non plus. Rémi n’y comprend pas grand-chose, les
messages de Léo ne sont pas suffisamment accompagnés de mots.
3
Rémi n’a pas de fratrie. C’est un beau garçon, il joue du hautbois, il participe à l’école, il
n’est pas, sans Léo, tout à fait isolé. Nous voyons sa mère, plus précisément dans la
deuxième partie du film. Elle est très sympathique mais elle est aussi sans mot. Le père
de Rémi travaille à l’extérieur très souvent. On sent le monde de Rémi plus réduit, plus
fragile. L’éloignement de Léo est d’autant plus douloureux. Son drame est intérieur, à la
manière maternelle. On sait que son père est capable de pleurer, mais on sait aussi que
sa mère s’éloigne de son père lorsque ce dernier pleure autour de la table. Elle ne peut
porter secours à son compagnon. En est-il ainsi avec son fils lorsqu’il a de la peine? Elle
peut être une mère calmante pour un nourrisson, on le voit dans le film, mais elle est
sans mot avec Léo qui cherche son accompagnement affectif dans le deuil de Rémi.
Le film laisse des zones d’ombres et c’est bien ainsi. Mais il y a un tout petit indice, qu’il
y a eu, peut-être, d’autres signaux antérieurs émis par Rémi que nous ne connaissons
pas. Ainsi, Rémi s’enferme dans les toilettes un matin après une invitation à dormir l’un
chez l’autre, et ça ne s’est pas aussi bien passé que Rémi l’aurait souhaité. Pourquoi, sa
mère s’inquiète-t-elle tant qu’il ne sorte pas de cet endroit? Rien de plus, nous sommes
tous impréparés par l’issu sanglante et funeste.
Et nous voilà tombés dans la deuxième partie :
Le deuil de Léo se précise ainsi que son fardeau de culpabilité. Il repousse d’abord le
deuil de Rémi, il l’aborde ensuite progressivement, ainsi que le deuil de la mère de Rémi
qui était une presque seconde mère pour lui. Léo cherche d’ailleurs activement à la
revoir, à plus d’une reprise, quand ce n’est pas qu’il la regarde furtivement, à
l’enterrement, lorsqu’elle vient à l’école ou au spectacle de musique. C’est lui, encore
activement, qui amorce le deuil, qui va vers elle, qui la sort un peu de son isolement
affectif. La solitude de la mère de Rémi, son emmurement, son « Close-enfermée » fait
évidence, sauf lorsqu’elle vient voir Léo au hockey. C’est à cette mère que Léo révèle
enfin sa culpabilité, c’est douloureux, mais nécessaire pour chacun. Cette douleur les
rejoint intimement, « Close-proche ».
La famille de Léo se resserre autour de lui, ce qui lui permet probablement plus
d’audace dans ce deuil.
Notons pour finir que le film nous montre une communauté tout entière qui essaie de
se réparer et de réparer de belle manière. D’ailleurs, Lukas Dhont est retourné avec son
équipe de tournage dans sa communauté d’origine, à l’école primaire de son enfance,
pour y faire son film Close, dont le producteur est nul autre que son frère cadet.
Nous allons donc revenir nous aussi ensemble dans notre communauté de cinéphiles. Je
vous invite donc à continuer avec nous et prendre la parole à votre tour.
4
(Ajouté pendant la discussion)
C’est fascinant de constater le travail du réalisateur sur un pan de sa propre histoire à
travers les films. En entrevue, Lukas Dhont révèle que c’est à sa mère qu’il doit son
destin artistique.
Son plan A, pour sa propre vie, était de devenir danseur. Il avait l’appui de sa mère.
C’est un peu abordé par le Film Girl, alors que le rôle tenu par un jeune homme est celui
d’une danseuse trans. Sa caméra est celle qui danse maintenant. Dans sa vie
personnelle, Dhont avait regretté son expérience de spectacle de danse qu’il avait
donné en solo au carrefour de l’école secondaire. Il dit, par la suite, avoir mimer être un
garçon en se conformant au modèle masculin.
Par ailleurs, enfant, il se souvient d’avoir vu sa mère traverser une dépression pendant
laquelle elle était inaccessible. Couturière, créatrice de collection, « nous vivions au
rythme de sa machine à coudre », elle était devenue alors en panne de création,
« Close-emmurée » : « j’ai vu quelqu’un qui nous faisait des adieux, qui voulait aller
ailleurs, sans nous ». Une période de grande désolation avait suivi. Cette mère n’était
revenue à la vie qu’après avoir vu le film Titanic. Son plan B faire des films, car c’est
important, allait alors germer chez ce futur réalisateur. On retrouve dans Close la mère
qui s’éloigne et le besoin de reprendre contact activement avec elle. Outre une grande
proximité d’avec sa mère, Dhont décrit une grande proximité d’avec son frère,
producteur du film Close, mais aussi compagnon de jeu, avec lequel il fait des films
depuis l’âge de 12 ans.
Lorraine Boucher
Pédopsychiatre, psychanalyste