Le cinépsy de l'APPQ

par André Jacques.

« Notre » cinéclub : pour le cinéma, ou pour la psychanalyse ? Pour voir des rêves sur grand écrans et pouvoir en parler, ou pour le simple plaisir de voir se déployer ce que des cinéastes et leurs équipes ont créé ?

Et d’abord, l’idée d’un cinéclub à saveur psychanalytique ne date pas d’hier. Ni du printemps 2001, moment où André Jacques proposa au CA de l’Association, présidée alors par Suzanne Tremblay, de tenir au nom de l’APPQ des soirées où seraient présentés des films « offrant un intérêt pour l’exploration de l’inconscient, aussi bien qu’un attrait esthétique et dramatique ». Ces films seraient commentés sur le champ dans des termes psychanalytiques par des psychanalystes et discutés par la suite en dialogue avec les spectateurs venant tout juste d’essuyer la vague émotive du film et les frémissements des termes psy employés dans le commentaire pour en faire ressortir les enjeux ICS.

Le CA se rendit d’autant plus facilement à ce projet que son instigateur proposait un lieu de projection (un amphithéâtre de l’Uqam) et la collaboration d’une collègue, la psychologue Fabienne Espaignol. Par la suite, la participation d’au moins un autre collègue, François Jetté, puis, récemment, Martin Gauthier, et l’accueil de ces soirées par le Cinéma du Parc contribuèrent à installer ces moments de cinéma et de réflexion dans l’agenda de plus d’un.

Cette formule était loin d’être inédite, car de nombreuses associations ou sociétés psychanalytiques de par le monde  avaient et  ont toujours recours à des formules analogues,  à commencer par la Quebec English de Montréal et un groupement jungien de Québec sous la direction de Marcel Gaumond.  En Angleterre, aux États-Unis, en Allemagne, en France et dans des dizaines d’autres pays, les milieux psychanalytiques et para-psychanalytiques ont recours à des formules de projection filmiques commentées et discutées, chaque « club » ayant ses propres justifications et son propre style.

Et ce, en dépit des protestions de Freud lui-même, qui, dans les années 20, déclara péremptoirement à Abraham «  Je ne considère pas qu’il soit possible de faire de nos abstractions une représentation plastique qui soit respectable ». Freud s’objectait ainsi à l’ambitieux projet d’Abraham et de Sachs de pousser à la réalisation d’un film « éducationnel » sur la psychanalyse. Le film sortit néanmoins en 1926, réalisé par le grand G.W. Pabst,  sous le titre  Les secrets d’une âme  (en allemand : Geheimnisse einer Seele) et offrant une vision extrêmement simpliste du « traitement psychanalytique » Cela ne l’empêcha pas de jouir  d’une diffusion mondiale et de contribuer à la diffusion de la psychanalyse. Ce qui ne manqua pas de consterner les analystes purs et durs partageant les réserves de Freud, homme si bien ancrés dans le dix-neuvième siècle et dans la méfiance à l’égard de « l’illustration » théâtrale ou plastique  d’idées complexes.

Par la suite, à partir des  années trente, des sociétés analytiques commencèrent à  soutenir audacieusement des événements publics dans  lesquels tel ou tel film était présenté comme illustration terme à terme d’un concept analytique (l’oedipe, le meurtre du père, le poids du surmoi, les dangers du ça…).

Par après,  tout au moins dans le monde francophone  et sous l’inspiration des Cahiers du cinéma (fondés en 1951), des cinéastes Truffaut, Chabrol, Godard, Rohmer, Hitchcock et des intellectuels Deleuze, Foucault, Barthes, Derrida et autres, les créateurs de cinéma se targuèrent d’être des praticiens du Septième Art, ouverts, comme tous les artistes, à toutes les explorations, y inclus celles  favorisées par la psychanalyse. Ces cinéastes et ces intellectuels ne s’intéressaient pas tant à faire l’illustration de la psychanalyse qu’à élaborer un discours « poussé » sur les films à même diverses grilles théoriques (sémiologie, sociologie, symbolisme, philosophie et bien sûr psychanalyse)

Cette évolution du monde des idées et de l’art permit l’éclosion « populaire » de réunions publiques où des films devenaient des véhicules pour faire valoir des thèses des plus variés, mais aussi des creusets d’élaboration critique d’idées.  Le cinéclub de l’Appq se situe dans cette mouvance. C’est, entre autres facteurs, ce qui lui assure la liberté que prennent les commentateurs-commentatrices dans les propos qu’ils-elles présentent et ajoutent aux interventions provenant de la salle.

Une évolution notable a par ailleurs marqué l’histoire de ce cinéclub. Tout au long des premières saisons, l’équipe organisatrice choisissait un thème formulé dans des termes ouvrant à un abord « psychanalytique » (par exemple, la mère, le père, l’oedipe, l’inceste, etc.),  partait à la recherche de films tournant autour de ces thèmes et sollicitait des personnes aptes à formuler et à présenter un commentaire pertinent et stimulant. Beaucoup de travail ! Et entreprise susceptible d’étirer parfois jusqu’à les dénaturer les liens entre les films choisis et les thèmes imposés. Par après, nous nous en sommes remis aux personnes commentatrices autant pour le choix des films que pour l’angle de leurs commentaires. Allègement de notre tâche, mais d’abord, recours aux goûts et aux intérêts cliniques et théoriques des analystes commentant les films et amorçant les discussions.  Option que nous continuons à trouver judicieux et à privilégier.